Une caution pour un empire

Moi, président du B.M.G, le parti qui restera, citoyen respectueux des lois de la République, devant le peuple camerounais je viens, à quelques jours du lancement de la campagne, déclarer mes biens…selon la loi.
Mes biens sont, comme vous pouvez l’imaginer, des biens bien acquis. Mon certificat de non imposition en fait foi. N’ayant pas de revenus, je n’ai rien à donner à l’Etat. Qu’en ferait-il, cet Etat prébendier et budgétivore ?

S’il faut payer les impôts pour attendre les grandes réalisations à l’horizon 2035 ? Ni lui, ni moi, ni vous, ne seront là pour témoigner. Alors…
Dans ma prière matinale, je remercie chaque jour le Seigneur de m’avoir permis d’être là où je suis, lui qui m’accorde aujourd’hui d’être présent à la compétition électorale, même si c’est pour la frime.

Merde ! Ils ont failli m’avoir. Je m’attendais à verser une caution de un million et demi comme par le passé. En raclant les fonds et les bas fonds, j’étais à mesure de trouver cette somme. Mais une caution de cinq millions ? Vraiment, il fait tout pour décourager ses adversaires.
Car, voyez-vous, n’ayant pas un dé pipé, je me suis endetté auprès d’un usurier travaillant à la fonction publique. Il est en service au trésor. Du jour au lendemain, avec l’épervier qui plane au-dessus du ciel des rivaux politiques et des agents publics, les chefs de mon usurier peuvent lancer un contrôle de caisse, et c’est la catastrophe…

Heureusement que mes antennes à Etoudi m’ont révélé que la cagnotte pour la campagne est de 15 à 20 millions cfa. Avec ça, mon chiffre d’affaires est positif. Je rentre dans mes fonds, rembourse ma dette avec un intérêt de 30%. Pour la campagne électorale, ce sera le service minimum : une apparition à ‘canal 3’, un débat à ‘Ekignox’, une ou deux interviews à ‘Mestations’ et au ‘Mensonger’ et l’affaire est dans le sac. Je pourrais enfin me laisser aller à la dolce vita.

J’ai déjà choisi Monaco. Ah ! Monaco ! La farniente, la belle vie, les casinos, les escapades en mer avec des hors bords dernier cri, l’épilation plein ciel des poils disgracieux par des bombes sexuelles aux ogives nucléaires fixées sur des poitrines à damner un saint. MonacoOOO les vins fins, le fromage, la glace à la framboise et le gâteau à la fraise ; enfin le piercing et les tatouages dans les zones à risques. MonacoOOO ! Tremble, j’arrive. Mon cœur bat de te savoir si loin, si près de moi…

Mais en attendant, je souscris volontiers aux exigences de la loi. Dans la tradition africaine, les femmes font parties des biens du mari, au même titre que la chèvre, les poules, les biens meubles et immeubles. Alors, sur l’honneur, comme biens bien acquis, je dis que j’ai deux femmes.
J’ai donc deux épouses comme biens et une maîtresse comme dépense hors budget. Vous pouvez vérifier. L’une est francophone et l’autre anglophone. Donc, en tant que futur président de la République, leader incontesté et incontestable du Bmg, avec mon bilinguisme horizontal, j’ai de quoi être présidentiable.

En tant que biens bien acquis, mes femmes sont donc des biens que je n’ai pas honte de déclarer. Les seules dépenses folles, qui me font mal aux poches, à ma foi et à ma chasteté, sont dans le désordre : mes cigarettes, Valgadine, et les petites Guinness que je m’offre chaque jour pour être à l’abri du stress.

Vous ne pouvez ne pas la remarquer. Ma maîtresse s’appelle ‘Valgadine’ comme une rose sauvage poussant dans les ronces. Elle est comme un lac de cratère. Calme en surface et potentiellement volcanique. Je connais son amant. Lui et moi partageons les charges de notre bien commun comme nous partageons son corps. Ce qui me revient tout compte fait, relativement moins cher et pratiquement non déclarable.

Mais je ne suis pas là pour vous parler de mes errements sentimentaux. J’ai décidé de souscrire au devoir citoyen en déclarant mes biens, qui comme vous pouvez le vérifier, sont des biens bien acquis. Ce faisant, convenez-en, je prends un gros risque, car si vous humez l’air du temps, ça sent le roussi. Pour rien au monde, ni Pual Yabi, ni bad boy, ou même hier Odontol, Achidi Acha, Barbe dure n’auraient souscrit à cette disposition légale. Je deviens donc un empêcheur de détourner en rond, qu’on a voulu abattre en pleine ascension, à quelques encablures d’un septennat de tous les espoirs : les grandes ambitions vont donner naissance aux grandes réalisations en 2035, si vous êtes toujours là.
Vous ou moi ou lui…

Car vous savez, la fonction de chef de l’Etat suscite beaucoup de convoitise chez nous, car à l’évidence, mieux que le sauveteur, le taximen, le nanga boko ou le pick-pocket, c’est le seul métier ou l’on meurt vieux, sans avoir pris sa retraite. En Afrique, sauf cas d’exception comme au Mali, au Ghana ou au Nigeria, le bon chef d’Etat est soit six pieds sous terre, bouffant les asticots, soit en prison, soit en exil. Mais jamais un paisible retraité plantant les choux dans son village.
Camerounais, camerounaises, mes chers compatriotes ! Je ne suis pas là pour vous parler des autres. Mais pour vous déclarer mes biens. A la réflexion, je suis un citoyen imposable, car actionnaire de cette entreprise publique qui s’appelle ‘Cameroun’, c’est-à-dire ‘Carrières et Alliances Minières et Esotériques des Réserves Occultes pour l’Unité Nombriliste’.
Je dispose donc aussi, en dehors de ma francophone et de mon anglophone que vous connaissez, et de Valgadine, notre bien en indivision son amant et moi, je disposais aussi, dis-je, d’un chien. Il s’appelait ‘Pathé’.

Pauvre Pathé. J’ai dû m’en séparer sur la pression de mes compagnes qui le maintenaient dans une diète noire chaque fois que je m’absentais pour une tournée politique. Et aujourd’hui j’ai des remords.
Qu’est-il devenu, mon bon toutou fidèle ? Le seul ami qui ne m’a jamais trahi ? As-tu fini dans la casserole d’un bakweri de Bakingili ou dans l’estomac encombré d’un Balessing de Penka-Michel ? « De nulle part ne s’amoncelle ta tombe. As‑tu même un amoncellement de déchets. Un ourlet de terre. Un semblant de corps. Un reste de tige ? »
Y aura-t-il demain, quand les bergers nieront notre identité, quelqu’un pour certifier que tu faisais partie de mes biens ?
Et tu étais le meilleur militant de ‘Boire et Manger Gratis’, notre parti national.

Bon vendredi et à vendredi

La chronique Edking paru dans Le Messager